Interview de l’Ambassadeur au portail d’information, Pressklub

Le 6 mai 2020

La France est l’un des pays les plus touchés par la pandémie de coronavirus. La situation dans d’autres pays de l’UE – l’Italie et l’Espagne – est également insatisfaisante. Il y a de nombreuses victimes. Il y a également eu des désaccords au sein du bloc économique le plus puissant du monde, l’UE. Pourquoi les pays européens ont-ils séparément menés la lutte contre “l’ennemi commun” ?

– Vous avez raison, avec plus de 20 000 victimes, la France a été durement frappée par le Covid-19, comme l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. En Europe, la santé publique demeure une compétence nationale, c’est-à-dire que ce sont les différents gouvernements qui sont responsables de la politique sanitaire sur leur territoire, que ce soit le fonctionnement des hôpitaux ou de la manière de réagir à une crise pandémique comme le Covid-19. Ce n’est pas une compétence de la Commission européenne à Bruxelles. Ceci correspond à un choix délibéré, car les citoyens européens veulent être gouvernés au niveau qu’ils jugent le plus approprié. Or les traditions médicales et hospitalières sont très différentes d’un pays à une autre.

Malgré cela, il y a une belle solidarité et une forte coopération européennes. Des patients français ont par exemple été transportés pour être traités en Allemagne et au Luxembourg. La concertation entre Etats membres a permis de décider de fermer temporairement les frontières extérieures, de soutenir la recherche d’un vaccin, de mutualiser partiellement l’achat de matériel médical, de lutter contre la désinformation, de s’accorder sur une importante aide aux partenaires de l’Europe, dont ceux du partenariat oriental dont fait partie l’Azerbaïdjan, et de limiter l’impact économique de la crise sanitaire.

Ainsi l’UE a mobilisé 15,6 milliards d’euros pour la coopération internationale, pour répondre aux besoins humanitaires de ses partenaires, renforcer leurs systèmes de santé et remédier aux conséquences économiques et sociales du Covid19. Les perspectives en Afrique sont particulièrement préoccupantes. Pour les pays du partenariat oriental de l’Europe, dont l’Azerbaïdjan, ce sont 140 millions d’euros qui ont été alloués pour l’aide médicale et sanitaire rapide.

Le paquet économique pour soutenir les emplois, les entreprises et l’économie en Europe s’élève pour sa part à 540 milliards d’euros.
Sans l’Union européenne, les conséquences de la crise sanitaire et économique seraient encore plus dures en Europe et dans le monde.

La France est le cinquième plus grand marché dans le domaine de la santé, avec une croissance annuelle de 5%. C’est le quatrième plus grand producteur de technologies médicales et le troisième plus grand Etat en matière de biotechnologies. Les soins de santé français comprennent le plus grand groupe hospitalier européen, AP-HP, qui accueille des millions de patients et couvre 39 grands établissements de santé publique. Cependant, au cours de la lutte contre le virus, il était évident que le pays manque de masques médicaux et que les hôpitaux ne sont pas préparés à accepter un si grand nombre de patients. Le nombre de tests de dépistage était également faible par rapport à d’autres pays européens. Selon vous, qu’est-ce qui explique cette contradiction ?

– La France a une économie qui est profondément intégrée au commerce mondial. L’économie française est largement une économie de services. Dans le domaine industriel, ce sont les industries avec la plus forte valeur ajoutée technologique qui ont été maintenues sur notre territoire national, comme l’aéronautique, l’automobile, les transports ferroviaires, le nucléaire, la défense. Mais comme pour beaucoup de pays, l’industrie textile, la production de masques en tissu ou d’équipements de protection médicale en papier a été délocalisée en Asie, notamment en Chine, où la main d’œuvre est moins onéreuse. La France avait constitué des stocks d’équipements comme les masques, mais ils se sont avérés insuffisants et il y a une tension très forte sur le marché international pour leur achat. Pour ce qui est des tests Covid19, la France réalisera au moins 700 000 tests par semaine dans la phase de de déconfinement progressif qui va s’ouvrir à compter du 11 mai.
Il va sans doute y avoir une réflexion nécessaire, une fois la gestion immédiate de la crise dépassée, pour savoir comment mieux faire face à une prochaine crise, que ce soit le Covid19 ou autre chose. Il faudra tirer toutes les leçons de la crise, en France, en Europe et dans le monde.

Une des leçons qui s’impose d’ores et déjà c’est que nous avons besoin de plus de coopération internationale dans le domaine de la santé publique. Il faut soutenir et renforcer l’Organisation mondiale de la santé, coordonner l’action internationale des Etats, des organisations de l’ONU comme Unitaid ou le Fonds mondial et l’action des grands donateurs privés. Il faut renforcer les systèmes de santé publique dans le monde. C’est pourquoi la réforme de l’assurance médicale obligatoire en Azerbaïdjan qui rentrera pleinement en vigueur en 2021 est si importante. La France a apporté son expertise à cette réforme, avec un soutien financier de l’UE.

L’Azerbaïdjan a lui-même un rôle important à jouer en tant que président du mouvement non-aligné. Nos deux pays coopèrent déjà et la France a apprécié la décision de l’Azerbaïdjan d’accorder un financement national important au Fonds mondial de lutte contre la tuberculose, le Sida et le paludisme.

Le problème de l’Ukraine a uni l’OSCE autour d’une position commune contre la Russie – allant de dures déclarations aux sanctions. Lors de la réunion de l’OSCE à Varsovie en septembre de l’année dernière, les États membres se sont davantage concentrés sur la « question ukrainienne ». Nous avons constaté une baisse d’intérêt pour l’Azerbaïdjan, un autre pays pourtant victime d’une occupation. Pourquoi le conflit du Haut-Karabakh n’est-il pas aussi important et prioritaire qu’auparavant ?

– La Russie a annexée la Crimée et il y a eu plus de dix mille morts depuis le déclenchement de la crise dans le Donbass. Cette crise n’est pas réglée, loin de là. Donc je pense que vous serez d’accord pour dire que les négociations entre la Russie et l’Ukraine, avec l’aide de l’Allemagne et de la France, sont importantes et nécessaires.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dites que le conflit du Haut-Karabakh est moins important ou prioritaire qu’avant. Les négociations se poursuivent activement. Les ministres azerbaïdjanais et arménien y ont pris part à plusieurs reprises depuis le début de l’année, avec le soutien des co-présidents du groupe de Minsk de l’OSCE. Les réunions se sont poursuivies même pendant la crise de la pandémie du Covid19. Le 21 avril, les ministres Mammadyarov et Mnatsakanyan et les co-présidents du groupe de Minsk ont eu des échanges par visioconférence et ont décidé de poursuivre les consultations. Ces discussions sont productives, elles permettent de limiter les tensions, de préparer les populations à la paix, d’essayer de rapprocher les positions entre les parties au conflit. L’engagement de la France, des Etats-Unis et de la Russie est intact. Les efforts des co-présidents sont constants, pour essayer de trouver un terrain d’entente. Les solutions unilatérales et les discours les plus durs ne sont pas toujours les plus avisés.

- Nous souhaitons poser une question sur la politique étrangère de la France. Concrètement liée à la Turquie. La France s’oppose à l’adhésion du pays à l’UE. Quelles sont les attentes de la France vis-à-vis de la Turquie ?

– Aujourd’hui, nous observons que les choix faits par la Turquie au cours des dernières années l’ont malheureusement éloignée un peu plus encore de l’Union européenne. Nous ne pouvons donc que constater que les négociations d’adhésion avec la Turquie sont par conséquent au point mort. Mais la Turquie reste un pays candidat et un partenaire très important pour l’Europe dans de nombreux domaines : lutte contre le terrorisme, migrations, énergie, etc. C’est pourquoi nous plaidons pour le maintien d’un dialogue régulier et exigeant à haut niveau entre l’Union européenne et la Turquie, sur tous ces sujets d’intérêt commun, sans éviter pour autant les sujets de désaccord.

Il serait intéressant de connaître votre point de vue sur les relations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan. L’accord de partenariat entre Bakou et l’UE n’a pas encore été signé. Quelle est votre vision de l’avenir de ces relations ?

– S’agissant de l’Azerbaïdjan, le potentiel de coopération avec l’Union européenne est considérable. C’est pour cela que les 27 Etats membres ont donné un mandat à la Commission européenne pour négocier le futur accord de partenariat et de coopération de l’Union européenne avec l’Azerbaïdjan. Permettez-moi de dire qu’il a à mes yeux une valeur très importante, car c’est ce document qui va orienter les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Europe pour les années à venir. Il a une importante portée politique et économique. J’espère qu’il sera conclu prochainement. Vous savez que de tels accords ont été conclus déjà avec les autres membres du partenariat oriental, l’Arménie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Ce serait paradoxal qu’un accord ne soit pas conclu avec l’Azerbaïdjan, alors même que votre pays devient un important acteur de la sécurité énergétique de l’Europe.

– Il y a un an, l’une des perles historiques du monde, la cathédrale Notre-Dame, aimée de nombreux Azerbaïdjanais, a pris feu. La restauration a été suspendue en mars en raison du coronavirus. Pourriez-vous informer le public azerbaïdjanais des progrès accomplis ? Quel est l’état du monument aujourd’hui ? Quel sont les enjeux liés à sa restauration ?

– Je vous remercie de cette question car la cathédrale Notre-Dame est dans les cœurs de tous les Français. Mon pays a été très touché par les expressions de solidarité et de sympathie suite à l’incendie de la cathédrale. Les importantes structures métalliques qui avaient été posées à l’intérieur de la cathédrale pour sa rénovation et qui ont fondu pendant l’incendie devraient pouvoir être prochainement démontées. C’est important car ces structures menacent la sécurité de l’édifice. La pandémie du Covid19 a quelque peu freiné l’avancée des travaux mais sans remettre en cause l’objectif de leur achèvement en cinq ans. C’est un vaste chantier qui réunit les Français et tous ceux qui aiment ce monument du patrimoine architectural européen et mondial.

Journaliste : Seymour Kazimov.
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publié le 14/05/2020

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